samedi 1 mars 2014

ARCANGUES

Bon, on en a déjà parlé mais à l’occasion d’une campagne électorale, voilà que le problème revient. Je ne peux résister au plaisir de me citer.

La banlieue, c’est pas que le problème de Paris. Toutes les villes ont des banlieues. Banlieusard, c’est génial. Tu te loges pour moins cher, tu as à ta portée toutes les commodités de la vie quotidienne et pour tout le reste, tu as la ville. Les théâtres de la ville, les salles de concert de la ville, les employeurs de la ville. Faut pas croire : le Zénith que Paris se paye, il fait le bonheur de Neuilly-sur-Marne. En province, c’est encore plus flagrant. Tu habites Arcangues, tu ne payes quasiment pas d’impôts mais tu es à dix minutes du centre de Bayonne, des clubs sportifs financés par les Bayonnais, tout comme les équipements culturels et les évènements festifs, toutes choses dont tu profites sans que ça te coûte un rond. Le beurre et l’argent du beurre. Le jardin et le boulot.

Le banlieusard, il a très vite l’argument économique. Si je vis en banlieue, c’est parce que j’ai pas les moyens de vivre en ville. C’est le coup de la loi de Ricardo, les prix décroissent quand on s’éloigne du centre. Sauf que c’est faux. La vraie phrase serait : j’ai pas les moyens de vivre comme je veux vivre. Parce que le banlieusard, il pourrait vivre en ville. Il lui suffit de diviser la superficie de son appartement par deux. Tu lui dis ça, il hurle… Forcément, il veut le beurre et l’argent du beurre, le prix ET la surface. Ben non. Le beurre et l’argent du beurre, ça ne marche jamais. Sauf dans le monde de Séguéla et des séries télévisées. Faut faire des choix, souvent cruels. Se dire que si on choisit les mètres carrés, on choisit aussi les heures de transport et les embouteillages. C’est pas une fatalité, c’est simplement les conséquences d’une décision, de l’acte d’un humain responsable qui a su peser le pour et le contre. Tu choisis la maison moderne dans une plaine ventée, tu sais que ton budget chauffage sera beaucoup plus élevé que dans un immeuble ancien de centre ville. Si tu le découvres après, c’est que t’as pas réfléchi assez. Surtout que, vu les prix, en centre ville, t’as deux fois moins de surface à chauffer. Mais râle pas : tu as décidé librement que le jardin était une raison suffisante à ton éloignement et tu lui as sacrifié ton budget chauffage. Faut savoir ce qu’on veut.

Mais le banlieusard, quelle que soit la banlieue, est soumis à la pression médiatique et commerciale. Voilà plus d’un siècle que Pasteur a affirmé que la santé passait par le soleil (la clarté) et le grand air. Et donc, on achète es maisons avec de grandes baies vitrées qui font autant de ponts thermiques et laissent filer les calories. Pas grave, on met des doubles rideaux. Leroy-Merlin est content, EDF est content. La pub te matraque de barbecues entre copains et donc le jardin devient indispensable. Tout est fait pour t’entraîner vers la banlieue, là ousqu’est le bel art de vivre moderne.

Dans les grandes villes, c’est pas gênant. La grande ville attire les entreprises, leur pompe les impôts et elle peut donc financer les équipements. La fuite vers la banlieue libère les mètres carrés de bureaux indispensables à la richesse. La loi de Ricardo fonctionne à plein.

Pour les petites villes de province, c’est autre chose. Surtout si l’urbanisme reste ancien (pré-haussmannien pour le dire vite). Les inconvénients de la banlieue sont moindres, les trajets plus courts, les surfaces disponibles en ville trop faibles pour attirer une population aisée ou être converties en bureaux. Le premier équipement, la zone industrielle qui doit attirer les créateurs d’impôts, va coûter. Et cette même zone industrielle, en attirant les gros prédateurs du capitalisme, va affaiblir le commerce local et rendre les centres encore moins attractifs. La loi de Ricardo ne fonctionne plus, la paupérisation est en marche.

Alors, les petites villes vont essayé de se conforter en créant des communautés d’agglomération qui sont le dernier piège. La petite ville est fière dans ces communautés d’être la plus grande. Elle sera amenée à financer des équipements dont elle n’a pas besoin. Des déchetteries auxquelles sa population n’aura pas accès ou dont elle n’aura pas besoin. On va récolter les déchets verts pour des populations de centre ville qui n’ont pas de jardin. Et souvent pas de voiture pour accéder à la déchetterie. La banlieue fonctionne alors comme un énorme parasite qui pompe la richesse pour la population qui en a le moins besoin : la petite ville paye des autobus qui conduisent les travailleurs habitant la banlieue ouest vers les bureaux de la banlieue sud et vont faire leurs courses dans la banlieue nord. Il lui faut financer des parkings dispendieux pour une population qui ne viendra pas en centre ville.

Il lui reste le tourisme, pour peu qu’elle ait un véritable patrimoine. Aujourd’hui, les touristes sont les seuls qui ne s’intéressent pas aux banlieues. Mais là encore, le danger guette. Les hôtels aiment bien les banlieues et les maisons d’hôtes sont rares en centre ville. La petite ville est obligée de partager sa dernière richesse.

Tant que les petites villes accepteront de se diluer dans d’improbables communautés, tant qu’elles accepteront d’enrichir leurs parasites, elles ne pourront pas s’en sortir. Il faut qu’elles comprennent que, sans elles, rien n’est possible.

Je le vois chez moi, dans ma petite ville. En trente ans, les flux de richesse ont basculé, le commerce local est exsangue, le budget social a explosé. Pendant ce temps, la classe aisée a colonisé la banlieue, vite imitée par la classe moyenne. Ils ont raison : ils ont le beurre et l’argent du beurre. Elle est pas belle, la vie ?

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